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Basse def

La conscience du faussement durable

On pourrait en rester là, et penser la ‘‘basse définition’’ comme autant de variations de l’utilisation du réseau, de manipulations numériques, et de tactiques médiatiques. Mais ce qui fait la singularité de la ‘‘basse définition’’, de cette sensibilité à géométrie variable, c’est que le réseau n’est pas qu’un simple réservoir de formes et d’idées que l’on peut transférer dans le champ de l’art, c’est un environnement complexe, informe, grouillant, qui travaille profondément la sensibilité.  

Le Web est notamment le terrain de jeu revendiqué par Fanette Muxart, Clôde Coulpier, Camille Laurelli, David Lefebvre et Fabrice Croux. Mieux encore : le Web doit être envisagé comme le ‘‘code source’’ de toutes leurs créations. Clôde Coulpier pratique la navigation aveugle. Fanette Muxart conçoit ses dérives sur le réseau comme l’occasion de se donner les moyens de désirer quelque chose, sans pour autant le vivre ou le posséder. David Lefebvre collecte des images selon son degré d’excitation, images qu’il reproduira plus tard en peinture. Fabrice Croux se nourrit de clichés et de stéréotypes en jonglant avec les mots-clés, par l’intermédiaire d’Altavista et de Google. Camille Laurelli envisage ses productions comme nécessairement défaillantes et n’entend imposer aucune dimension particulière à ses images. C’est pourquoi il parle de ‘‘dimension variable’’ : ‘‘En quoi une image est-elle plus ou moins pertinente par sa grandeur ?’’ Robert Morris lui répondrait que la taille induit le rapport à l’œuvre : la petitesse participant d’une approche intime et le grand format d’une approche plus distante. Mais Internet et les logiciels de traitement graphique de l’image sont passés par là. Seule la capacité de l’algorithme à rendre une image correcte, lisible, semble limiter la taille d’impression de l’image… 

 Implicitement, ces artistes expriment donc le sentiment de la fragilité des choses, de l’importance toute relative des données qui sont fabriquées dans la culture du numérique. Que restera-t-il dans quelques années de tous ces échanges sur le réseau, de ces données abondamment déposées sur les serveurs, consultées ou pas, parfois dupliquées à l’infini mais très vite oubliées, voire abandonnées, délaissées ? En cela, ils sont très proches des préoccupations de Serge Comte qui, d’ailleurs, s’est très vite reconnu en eux. À l’occasion de la célébration du passage au nouveau millénaire, ce dernier, en 2000, avait mis en scène dans le site archéologique de Glanum les vestiges de notre présent5. Dans la publication qui accompagnait l’exposition, le critique d’art Éric Troncy décrivait l’intervention de l’artiste de la manière suivante : ‘‘L’idée est simple : le site lui-même se présente comme une sorte de mille feuille temporel, sédimentation de strates de temps riches comme rarement le sont les sites archéologiques. On y trouve entre autres les traces d’un forum romain, lieu par excellence de la socialisation et à dire vrai les indices propices à la reconstitution fantasmée d’époques antérieures. Serge Comte a organisé pour le spectateur les restes d’un événement qui aurait eu lieu à la fin du XXe siècle ; ce qui laisse entendre au spectateur qu’il est déjà beaucoup plus loin dans le déroulement de l’Histoire6.’’ Pour l’occasion Serge Comte avait disposé sur le site des boules disco, mis sous vitrine des néons, des fragments de disquettes et de CD, étiquetés comme des vestiges, des traces d’une époque de technologique révolue. Entre la fausse reconstitution et l’exploitation des caractéristiques d’un lieu, Serge Comte a interrogé la mémoire des pratiques au sein d’un lieu et fait surgir des fragments d’histoires et de souvenirs.

La manière de faire de ces artistes, comme celle de Serge Comte, fait donc écho à la ‘‘basse définition’’, à cette sensibilité à géométrie variable qui produit des formes fuyantes, volatiles et temporaires. Fanette Muxart, Clôde Coulpier, Camille Laurelli, David Lefebvre et Fabrice Croux sont eux-mêmes volontairement insaisissables, fixant sans inquiétude leurs apparitions et leurs idées sur des supports et des formats variés, provisoirement liées aux circonstances : des vidéos enregistrées sur des appareils photo numériques et diffusées sur You Tube ; des dessins réalisés à la craie grasse sur ardoise Velléda ; des sculptures fabriquées avec des mappemondes froissées, d’autres modelées avec de la Patafix enrichie de paillettes ; des graffitis composés au Kärcher ; des pull-overs personnalisés tricotés par des membres de leur famille…

 

5 Exposition ‘‘Attack de Lux’’, du 27 avril au 29 octobre 2000, site archéologique de Glanum, route des Beaux-de-Provence à St-Rémy-de-Provenc/ 6 Éric Troncy, ‘‘Smokk- Maquina’’, in catalogue d’exposition Glanum/ Attack de Lux , Paris, Monum, 2000. Ce texte est aussi disponible sur le site de Serge Comte dans la rubrique texte en français (www. sergecomte.free.fr)

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