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Basse def

Pratiques amateurs

Avec Internet, les algorithmes jouent leur rôle, et imposent l’architecture des formats d’expression et la distribution des textes, des sons et des images. La ‘‘génération Internet’’ se déplace dans un contexte de programmation rampante qui structure et standardise les formats d’expression dans lesquels elle semble vouloir s’épanouir. Secrets et désirs sont passés des pages personnelles aux rotulis des blogs : ils s’y expriment, se dupliquent, se généralisent. Ce qui était consigné autrefois dans les cahiers personnels et journaux intimes, ou bien qui faisait l’objet d’échanges épistolaires, est aussi déposé sur les serveurs de blogs comme Skyblog, accessible et à la fois perdu au milieu de milliers d’autres données. 

Les ‘‘médias incitatifs’’, que sont les ordinateurs et les ‘‘objets seconds’’ (téléphones portables, appareils photo numériques), concourent à une production exponentielle de données personnelles et de duplication en tout genre de programmes audiovisuels. Une nouvelle culture, trouble et diffuse, s’installe dans la grande toile : le réseau regorge de productions qui n’ont ni le niveau de savoir-faire ni le talent des professionnels de l’image et du son. Qu’importe, les logiciels ont pour fonction de faire croire à leurs utilisateurs qu’ils peuvent y arriver, et surtout qu’ils deviennent des producteurs de programmes, des self-média.

La fin des années 1990 est marquée par le retour fulgurant de l’amateur, une figure portant jusqu’ici son lot de ringardise. Pour autant, cette figure demeure aussi ambiguë que l’est son étymologie. Qu’est-ce qu’un amateur ? Celui qui aime ou celui qui crée de manière non professionnelle ? Ce qui se cache derrière cette figure, et son regain d’intérêt, c’est la question de l’émancipation de tout un chacun, émancipation culturelle, émancipation aussi pratique, dans l’emploi et l’utilisation d’appareils qui permettent de manipuler les données et les médias. De plus, avec l’existence du réseau Internet, ces pratiques ont aujourd’hui une visibilité sans précédent qui d’une certaine manière a pris l’ascendant sur d’autres modes d’expression, notamment sur l’expression artistique. 

Ces pratiques amateurs se singularisent par la reprise et la banalisation de gestes et d’opérations ( playlist , photomontage, postproduction vidéo) qui relevaient du savoir-faire de petits groupes d’experts privilégiés. Pour autant, ces amateurs sont capables d’inventivité : comme avec l’usage des webcams au début des années 2000, ils produisent des formes inattendues liées à leurs nouvelles manières de se raconter. La dernière manifestation en date de cette inventivité amateur est le phénomène des ‘‘lip sync’’, apparu au début de l’année 2006. Des vidéos déposées sur Google Video, You Tube ou Dailymotion dans lesquelles des adolescents doublent des chansons populaires ou des génériques de dessins animés. Je me rappelle être entré en contact avec une jeune femme, que j’estimais virtuose dans l’art du ‘‘lip sync’’, qui ne comprenait pas pourquoi je pouvais m’intéresser à sa pratique. Elle trouvait amusantes les vidéos de Pipilotti Rist (You Called Me Jacky) et de Serge Comte (I Love Mickey) que je lui avais adressées afin de lui montrer qu’il y avait formellement peut-être quelque chose de commun. Cette prise de contact sans lendemain fut sans effet sur la suite de la production de la jeune femme.

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